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Le théâtre jeune public au Québec 

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SURVOL HISTORIQUE

 
 

Les pionniers

Le théâtre jeune public est un phénomène, somme tout, récent au Québec.

Les premières productions québécoises significatives adressées spécifiquement au jeune public datent des années cinquante et soixante. Durant ces deux décennies, les créateurs s’inspirent grandement du répertoire des contes traditionnels, mais l’écriture des pièces et des spectacles devient de plus en plus québécoise. Certains théâtres ajoutent à leur programmation régulière des spectacles pour le jeune public et des compagnies théâtrales choisissent de s'adresser spécifiquement à ce public. Parmi les précurseurs, mentionnons entre autres: le Théâtre-Club, le Rideau Vert, la Roulotte, le Vagabond, les Apprentis-Sorciers, les Marionnettes de Montréal, le Studio-Théâtre da Silva, le Youtheatre, le Théâtre pour Enfants de Québec, le Théâtre de l’Arabesque, les Saltimbanques, le Théâtre des Pissenlits, le Théâtre du Trident et le Théâtre de Polichinelle.

C’est l’époque de la Révolution tranquille, du baby-boom, d’Expo 67, de la création du Conseil des arts du Canada (1957), du ministère des Affaires culturelles (1961), du Conseil des arts du Québec (1961), du ministère de l’Éducation (1964), du Centre des auteurs dramatiques (CEAD). Autant d’événements qui ont contribué grandement à l’essor des arts et de la culture au Québec.


L’éclosion des années 70

 

Les années soixante-dix vont voir apparaitre un nouveau théâtre pour enfants. À l'instar de la société dans laquelle il évolue, le théâtre québécois connait alors de grands changements et voit l’émergence de ce qu’on appelait alors le Jeune Théâtre. Le CEAD offre des ateliers d’écriture en théâtre pour enfants. Ceux-ci vont profondément influencer la création en direction du jeune public qui devient un théâtre de recherche, d’expérimentation et de création, tant sur le plan du contenu et des textes que de la théâtralisation. Les créateurs se préoccupent de leurs publics, s’en inspirent et le consultent durant le processus de création. Durant cette période, plusieurs compagnies professionnelles de théâtre, dont certaines existent encore aujourd’hui, choisissent de s’adresser spécifiquement au jeune public. Apparaissent également durant cette période des festivals consacrés spécifiquement au théâtre jeune public, dont le Festival de théâtre pour enfants à Longueuil qui migrera ensuite à Montréal et sera pris en charge par l’Association québécoise du jeune théâtre.

Durant cette éclosion, le théâtre pour le jeune public va changer profondément. De théâtre de pur divertissement, fantaisiste, de participation, de théâtre du merveilleux ou didactique, le théâtre jeunesse évoluera de plus en plus vers un souci de quoi dire aux enfants. Un théâtre engagé socialement, d’éveil au monde et aux arts qui considère l’enfant comme un être à part entière et non comme un adulte en devenir.

Durant cette période et dans les années qui vont suivre, les compagnies de théâtre jeune public développent progressivement un circuit de tournée partout à travers le Québec. Dans le réseau scolaire, mais aussi de plus en plus dans des lieux de diffusion professionnels qui se multiplient à travers la province et qui se regrouperont progressivement en réseaux. Les compagnies de ces premières décennies ont dû tout bâtir, créer des liens avec le milieu scolaire puis avec les rares lieux de diffusion d’alors sur le territoire, développer leur intérêt, contribuer à leur éveil, puis miser sur leur fidélité. Un vrai travail de défricheurs.

Ce fut aussi le développement d’une diffusion croissante des spectacles des compagnies québécoises en théâtre jeune public à l’extérieur du Québec, au Canada, puis à l’étranger sur plusieurs continents. 

Le nombre de compagnies ayant vu le jour durant cette décennie est l’expression manifeste de cette éclosion et de cette effervescence. Parmi ces compagnies, mentionnons :  le Théâtre Soleil, le Théâtre du Sang neuf, le Théâtre Entre Chien et Loup, le Théâtre de l’Oeil, les Corigis, le Théâtre de Carton, le Théâtre de la Marmaille (maintenant Les 2 Mondes), l’Aubergine de la Macédoine, les Productions la Bébelle, les Marionnettes du Grand Théâtre, le Théâtre de Quartier, le Théâtre du Carrousel, La Cannerie, le Théâtre de l’Avant-Pays, le Théâtre du Gros Mécano, le Théâtre l’Arrière-Scène, le Théâtre des Confettis, le Sakatou, le Gyroscope, le Théâtre Petit à Petit, L’Illusion théâtre de marionnettes, Les Amis de chiffon, le Théâtre Sans Fil, les Marionnettes de Claire et René, les Marionnettes du Bout-du-monde, L’Aubergine de la Macédoine, L’Arsenal à Musique, Cie Vox Théâtre, la Masquerêverie, le Théâtre de la Vielle 17.

Nous assistons durant cette période à l’élection du Parti Québécois et au début d’un long débat politique, durant quelques décennies, sur la souveraineté; l’Association canadienne du théâtre d'amateurs (ACTA) devient l’Association québécoise du jeune théâtre (AQJT); celle-ci voit la création en son sein d’un comité de théâtre pour enfants dont les retombées seront déterminantes pour le développement du théâtre québécois œuvrant pour les jeunes publics. Le Réseau des Organisateurs de Spectacles de l’Est du Québec (ROSEQ) voit aussi le jour durant cette décennie.


Les années 80, années de consolidation

 

Durant les années 80, le théâtre jeune public québécois se consolide. Le secteur jeune public se préoccupe de sa relève bien que le nombre de compagnies poursuive sa croissance. Plusieurs lieux de diffusion spécialisés en théâtre pour les jeunes publics voient le jour ; L’Arrière-Scène, le Centre dramatique pour l’enfance et la jeunesse en Montérégie (1976), la Maison Théâtre à Montréal (1982) et le Théâtre Les Gros becs à Québec (1987).  Ces lieux de diffusion spécialisés contribueront grandement à la visibilité, au rayonnement et à la reconnaissance du théâtre pour les jeunes publics.  Plusieurs diffuseurs pluridisciplinaires programment davantage de spectacles pour les jeunes publics. Nombreux sont les producteurs qui optent pour la présentation de leurs spectacles dans des lieux de diffusion professionnels offrant de meilleures conditions techniques, plutôt qu’à l’école. La diffusion à l’étranger des spectacles québécois pour les jeunes publics connait une croissance significative.

Cette décennie sera celle d’événements structurants pour le théâtre jeune public dont la création du Conseil Québécois du Théâtre (CQT) (1983), de RIDEAU (1984), de Réseau Scènes (1987), des programmes Culture-éducation et de l’adoption de la Loi sur le statut de l’artiste (1987).

Les compagnies suivantes viennent se joindre à la cohorte des compagnies déjà présentes au sein du secteur théâtre pour les jeunes publics :  Dynamo Théâtre, Le Moulin à Musique, le Théâtre de la Source, Gestes Théâtre de marionnettes et musical, le Théâtre Bouches décousues, Des mots d’la dynamite, le Théâtre le Clou, l’Atelier du conte en musique et en images, le Théâtre Mille tours et le Théâtre les Trois Petits tours.

 

Les années 1990 à ce jour

 

Un nombre grandissant de jeunes créateurs s’intéressent aux jeunes publics. Nous assistons à l’émergence progressive de spectacles créés spécifiquement pour ce public en musique, en danse et en cirque. La création théâtrale en direction du public des adolescents prend de l’amplitude. Le festival Rencontre Théâtre ados voit le jour en 1996. Nous assistons à l’émergence et au développement du théâtre pour les tout-petits, à la création, en 2005, du festival Petits bonheurs consacrés à la petite enfance. La constitution du Réseau Petits bonheurs vient confirmer le développement croissant de ce public et de l’offre de spectacles créés à son intention.

Cette période sera marquée par la création du festival Les Coups de théâtre (1990), par la Politique culturelle du Québec (1992), la création du Conseil des arts et des lettres du Québec (1994), par la Politique de la diffusion des arts de la scène (1996) et la création du Comité de concertation interministériel sur les sorties scolaires en milieu culturel. Le gouvernement du Québec annonce dans son budget 2016-2017 une aide spéciale pour l’offre jeune public de 5M$ par année sur cinq ans. Cette aide a été renouvelée pour la saison 2021-2022 et elle est sous la responsabilité du CALQ. Le gouvernement du Québec annonce dès la saison 2019-2020 une aide financière pour que tous les élèves québécois puissent participer gratuitement à deux sorties en milieu culturel.

Chaque décennie de cette période verra l’apparition de nouvelles compagnies. Certaines auront une courte vie. D’autres maintiendront leurs activités en direction du jeune public et auront un impact significatif sur le théâtre pour les jeunes publics, et ce encore aujourd'hui.

Dans les années 90, verront le jour entre autres les compagnies suivantes ; Harpagon Théâtre, Bluff Productions, la Compagnie musicale La Nef, le Théâtre de la Petite Marée, Tenon Mortaise, la Troupe Arlequin, le Théâtre Tout à Trac, Mathieu, François et les autres, le Théâtre Magasin, Les Productions du Zèbre, l’Ourson Doré, Théâtre en l’Air et le Théâtre de Sable.

Durant les années 2000, d'autres se lancent dans l’aventure; Nuages en pantalon, le Théâtre Motus, le Théâtre des deux mains, Picouille théâtre, La Comédie Humaine, Eldorado Théâtre, Piperni spectacles sur mesure, le Théâtre Advienne que pourra, La Petite valise Théâtre, l’Abat-jour Théâtre, le Théâtre des 4 coins, le Théâtre Ébouriffé, le Théâtre des Petite Âmes, Terra Incognita, le Théâtre Ciel Ouvert, le Théâtre Sous la main, le Théâtre des Deux mains, Opéra Vox Populi et Marie Stella.

Depuis 2010, mentionnons plusieurs compagnies qui choisissent elles aussi le théâtre pour les jeunes publics ; Les Incomplètes, le Théâtre du Toboso, Les raisins de la grappe, le Théâtre Tombé du ciel, Les MiniMalices, Les Fabulateurs, Samsara Théâtre, Mammifères, les Productions du Mécène, le Théâtre Fêlé, Fortuit Théâtre, Cabane Théâtre, La Marboulette, le Théâtre du Fol espoir, le Théâtre Tortue Berlue, Papa? Collectif, Les P’tits mélomanes du dimanche, Valise Théâtre, L’Allumette théâtre de marionnettes, Libre course, le Festival de théâtre musical du Québec, Autels particuliers, Graham Soul, La petite Valise Théâtre, L’irréductible petit peuple et Synthèse additive.

 

 

LA CRÉATION ET LA PRODUCTION EN THÉÂTRE JEUNE PUBLIC AU QUÉBEC

 
 
 

La création

 

La création en théâtre jeune public au Québec se porte bien. Elle est diversifiée tant au niveau des contenus et des écritures que des formes théâtrales et des langages artistiques.

Auteurs et producteurs québécois ont à cœur de créer des œuvres professionnelles qui sauront toucher, éveiller, émerveiller, émouvoir les jeunes publics, des œuvres qui proposent une autre lecture du monde, celle de l’artiste, et qui ouvrent sur de nouvelles perspectives.

Le théâtre jeune public est encore largement un théâtre de création à partir de textes créés spécifiquement pour le jeune public par des auteurs d’ici. Plusieurs de ces auteurs sont reconnus pour la qualité de leurs textes ici et à l’étranger. Nous vous invitons à consulter le site du CEAD pour y découvrir la profusion de textes d’auteurs dramatiques destinés aux enfants et aux adolescents.

Il est très fréquent que la création des spectacles jeune public soit précédée d’une longue période de recherche et que le temps de répétition et d’expérimentation soit plus long dans le temps que la moyenne des productions théâtrales.

Par souci de leurs publics, il est aussi très courant que les artistes aillent à leur rencontre avant, pendant et même après la création de leurs spectacles. Il est de plus en plus fréquent que des diffuseurs accueillent les artistes durant ce processus de création entre autres dans le cadre de résidences.  La majorité des compagnies offrent des activités de médiation culturelle de toutes sortes.

Les créateurs et les producteurs d’ici se préoccupent des publics auxquels ils s’adressent. Cela les a amenés au fil des ans, de leurs recherches et de leurs connaissances, à créer pour des groupes d’âges spécifiques et à exiger des jauges d’auditoire adaptées à ces publics et à leurs propositions artistiques. Un spectacle d’envergure pour les adolescents ne réclame pas généralement les mêmes conditions de présentation et d’accueil qu’un spectacle intime pour les tout-petits.

Le théâtre jeune public créé au Québec est majoritairement un théâtre de tournée et jouit d’une excellente réputation ici et de plus en plus à l’étranger. Il est reconnu pour la pertinence de ses contenus, pour son inventivité et sa créativité.

 

Les conditions de création et de production

 

Le Québec ne manque pas de ressources créatrices. Les écoles professionnelles forment des artistes, interprètes et concepteurs, talentueux et polyvalents. De plus, elles dispensent parfois des formations ponctuelles plus spécifiques en théâtre pour les jeunes publics. Et il existe également des formations spécialisées en gestion des organismes culturels. À l’instar de la société, le travail en direction des enfants et des jeunes publics n’a pas toujours la cote; il est souvent méconnu, trop peu considéré, peu fortuné, ce qui, malheureusement, ne le rend pas toujours très attrayant pour celui qui veut faire carrière.

La taille des productions et des distributions varie en fonction des choix artistiques, mais aussi, bien entendu, en fonction des revenus auxquels ont accès les producteurs. Ceux-ci tirent principalement leurs revenus de deux sources ; des revenus autonomes provenant de la vente de spectacles ou de billets, de commandites, de campagnes de financement et des revenus de subvention de fonctionnement (de base, à la mission ou à la programmation spécifique), de projets de productions ou spéciaux, d’aide à la diffusion nationale ou internationale.

Il y a des écarts importants de revenus de subvention entre les compagnies plus établies et les compagnies émergentes. La situation des jeunes compagnies est extrêmement difficile et précaire particulièrement les premières années : faire ses preuves dans un marché déjà bien encombré, auprès de diffuseurs au niveau d’attente élevé, et gagner la crédibilité des bailleurs de fonds ne sont pas une mince tâche.

 

 

LA DIFFUSION DU THÉÂTRE JEUNE PUBLIC AU QUÉBEC

 
 

Au fil des décennies, l’intérêt et la considération pour le théâtre jeune public ont connu une réelle croissance. L’offre s’est développée en qualité et en diversité et elle est maintenant très importante. Les lieux de diffusion se sont multipliés et professionnalisés sur une grande partie du territoire québécois offrant de bien meilleures conditions de présentation que celles qu’offraient à l’époque les écoles, les salles paroissiales et communautaires. Nombreux sont les producteurs en théâtre jeune public qui ont peu à peu privilégié la diffusion dans les lieux de diffusion professionnels à qui ils confient maintenant presque totalement la responsabilité du développement des publics et des liens avec le milieu scolaire.

Il existe maintenant un véritable circuit de diffuseurs qui accueillent des spectacles pour le jeune public, qui participent activement au développement du public familial et scolaire et qui mettent en œuvre des actions de médiation culturelle entre les œuvres artistiques et leurs publics. Ils ont une réelle appréciation et affection pour les spectacles pour les jeunes publics et ont développé de vraies complicités avec des créateurs et des producteurs québécois. Au-delà des ententes contractuelles et des accueils, des liens de solidarité se sont tissés et ont permis ponctuellement des actions concertées fructueuses entre producteurs, diffuseurs, réseaux de diffusion et organismes associatifs.

 

 

LA MÉDIATION CULTURELLE

 
 

La médiation culturelle occupe une place croissante en arts de la scène pour les jeunes publics. Les efforts de sensibilisation aux œuvres et aux artistes de la part des producteurs et des diffuseurs ne datent pas d’hier. Pour preuve, les cahiers pédagogiques, les ateliers et les rencontres de sensibilisation que tous effectuent depuis des années. Elles sont réunies maintenant sous le vocable de médiation culturelle. Elle fait l’objet de programmes d’aide spécifiques. Elle apparait de plus en plus dans le mandat et les responsabilités des producteurs et des diffuseurs. Tous en reconnaissent l’impact.

 

 

LES ENJEUX ET LES DÉFIS ACTUELS

 
 

Le théâtre jeune public au Québec fait face actuellement à plusieurs défis. Mentionnons, entre autres, la demande de spectacles pour les jeunes publics qui ne croît pas au rythme de l’augmentation de l’offre (théâtre, danse, cirque, variétés, musées, etc.), le développement et le renforcement des liens entre le milieu culturel et le milieu scolaire affectés par les boycottages successifs ainsi que la pandémie, les frais liés au transport des élèves vers les lieux culturels, la cohabitation de l’offre numérique et du spectacle vivant, le manque de ressources financières, tout particulièrement pour les compagnies productrices émergentes et pour les diffuseurs qui programment des spectacles pour les jeunes publics.

Fort heureusement, la création est foisonnante comme la passion des artistes et des producteurs toujours au rendez-vous. Les pouvoirs publics et les conseils des arts sont de plus en plus attentifs aux besoins des artistes, des producteurs et des diffuseurs qui s’adressent aux jeunes publics comme en témoigne la Politique culturelle du Québec: la Mesure pour soutenir l’offre jeune public et la Mesure d’aide pour les sorties scolaires en milieu culturel.



 
 

Pierre Tremblay

Directeur général de TUEJ depuis 2015.

 

Je tiens à remercier, pour leurs écrits, Hélène Beauchamp (Le théâtre pour enfants au Québec : 1950-1980, Hurtubise HMH, 1985) et Micheline Legendre (Marionnettes, art et tradition, Leméac, 1986). Merci également à Marc Pache et à Alain Grégoire qui m’ont partagé le contenu de présentations qu’ils ont fait ces dernières années sur le théâtre jeune public au Québec.

Plusieurs des données sur les compagnies proviennent des archives de TUEJ. Si certaines compagnies n’étaient pas, par mégarde, mentionnées dans l’historique, merci de m’en aviser.

L’histoire du théâtre jeune public depuis 1980, reste à faire. L’invitation est lancée.

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